Les peintres et le vitrail
Une nouvelle ère du vitrail s’ouvre en France. La création de nombreux vitraux dans des édifices historiques, comme dans des architectures contemporaines, a donné une dimension inédite à cet art millénaire dans la vie artistique du début du XXIe siècle.
Des peintres venus de la scène artistique nationale ou internationale, la plupart sans expérience préalable dans le domaine du vitrail, ont renouvelé profondément la pratique d’un genre, mêlant le décor architectural et le style personnel d’artiste créateur, de « peinture libre ».
Les « vitraux de peintres »
L’art du vitrail, depuis ses origines, s’inscrit dans une compétition entre l’œuvre picturale, qui tend vers une autonomie aux formes libres, et le cadre architectural, qui sollicite un dialogue, impose une prise en compte des critères du monument pour une réception globale en harmonie avec les volumes et la fonction du lieu. La commande a souvent dû affronter ce terrain de conflit entre la production d’images artistiques et le service de la fonction architecturale, l’accompagnement du caractère propre de l’architecture.
Ainsi s’est-on bien souvent défié des tentatives d’intrusion de la peinture libre dans l’art monumental, et a-t-on relevé un genre « vitraux de peintres », issu du cadre muséal et académique, en soulignant ses faiblesses et sa tendance à amenuiser l’impact de la forme architectonique. La mise en avant de nombre de réalisations, qui projettent la sensibilité de l’artiste en pleine poitrine du spectateur, relève plus de la célébration de l’auteur que d’une contribution à l’augmentation de la force de l’édifice qui l’accueille.
Mais, si les « vitraux de peintres » ne sont pas une nouveauté dans l’évolution de l’art du vitrail, un équilibre semble avoir été trouvé dans bien des réalisations récentes, entre la soumission à la fonction architecturale du décor vitré et l’œuvre picturale indépendante. Sans se priver des possibilités propres de la peinture, et dans le plus grand respect du bâtiment, de nouvelles formes d’aménagement de la lumière ont su attirer les publics et apporter une nouvelle vie à de nombreux édifices.
Les nouveaux matériaux de la transparence
Les artistes y ont été aidés par des transferts d’expérience entre les différents domaines de l’art et de la technique, lesquels ont accompagné d’une manière exemplaire leurs interventions dans tous ces chantiers de création de nouveaux vitraux. Le vitrail contemporain est une technique artistique à part, en raison de la somme des complexités mises en œuvre avec l’usage des nouveaux matériaux de la transparence.
Le développement sans précédent de la technique de peinture aux émaux sur verre « float » a beaucoup contribué à renouveler le domaine et à séduire de nombreux artistes. Ce vitrail « sans plomb » a permis de libérer la composition des contraintes de la technique traditionnelle de la compartimentation, nécessaire au montage avec des baguettes de plombs, pour faire du vitrail une peinture pure, rendue libre aux mains de l’artiste. Ainsi l’action directe du peintre par le geste de la main a restitué au vitrail un caractère artistiquement autonome, comme un art à part entière de l’architecture. Cette « peinture libre », habituellement enfermée dans les galeries et les musées, ou sur le chevalet de l’artiste, trouvait une réception inédite dans sa fonction monumentale, au milieu d’un espace chargé de fortes rémanences historiques et artistiques, et au contact d’un autre public.
Ce mouvement a été perçu comme un enrichissement, le vitrail ayant été trop souvent livré à l’architecture dans une esthétique de la discrétion, quelquefois radicale. Les capacités de la peinture ont ainsi été éprouvées dans ce champ du vitrail, et le résultat a montré que les styles personnels des peintres ont su offrir des approches réussies dans la composition d’œuvres intégrées au cadre monumental.
Le service du vitrail
Le regard de l’artiste a changé, il œuvre avec prudence, respect. La liberté du geste retrouvé n’a pas signifié le débridement sans limites de sa subjectivité. Il est désormais acquis qu’être appelé pour une commande signifie collaborer à un ouvrage commun. Le service que l’artiste s’efforce de rendre, et l’utilité qu’il y trouve, lui donnent une dignité sans égale, qui a aidé à reconquérir les publics, à rétablir la confiance dans la capacité de l’écriture contemporaine à exposer le message du sanctuaire. Les tentatives de déconstructions, menées au cours des dernières décennies par une production et une surexposition d’images qui font écran, semblent s’estomper aujourd’hui avec des démarches montrant une préoccupation de répondre aux interrogations des maîtres d’ouvrage, comme des usagers, dans le sens d’un dévoilement créatif de la lumière.
Les communautés en attente de cette lumière qui change le regard, forgée dans le creuset des couleurs des artistes, retrouvent la parole par la réponse de l’art.
Le dévoilement créatif
En tant qu’art monumental, le vitrail bénéficie aujourd’hui d’une attention sans précédent, en témoigne l’importance de la commande d’œuvres contemporaines dans de hauts lieux du patrimoine architectural, au service de communautés très diversifiées, toutes engagées dans une démarche de recherche de nouvelles lumières pour aménager l’espace, créer des lieux vivants et accueillants. On vérifie aisément que la lumière joue un rôle central dans l’attirance que provoquent les ambiances inspirées. La verrière aménage l’espace, conduit la lumière à l’intérieur d’un lieu à naître, à travers une atmosphère hospitalière qui signale l’« humanité » de la demeure. Vitraux et murs de lumière se rejoignent comme les multiples facettes de la structure diaphane de l’âme du lieu, qui vient porter le sens du monde et protéger ceux qu’il accueille. Le bâtiment délimite un territoire céleste mental et spirituel, à travers la trace physique du passage de la lumière, d’une écriture construite sur le « ciel ». La lumière configurée par les verrières des artistes crée un « milieu », fait rejaillir le génie du lieu dans le temps présent, redonne la vie qui a disparu entre les murs d’édifices devenus des monuments, de simples lieux de mémoire.
Matière et lumière
A l’opposé, on observe que l’usage, si répandu, des matériaux de l’architecture en verre et miroir dans le monde de la construction des bâtiments modernes, se traduit par une absence de ciel. Un éclairage omniprésent et permanent, où règne la sensation de se perdre dans un monde désertifié : pas de ciel commun pour forger une solidarité commune face aux intempéries, au besoin de se réjouir par la sensation d’une présence partagée dans un lieu qui devient familier, habité.
Sans doute le succès actuel du vitrail est-il aussi une réponse à cette nostalgie ontologique de l’homme qui a perdu son dieu et ses lieux, jeté dans les espaces indifférenciés, et témoigne du désir de la dynamique de l’ombre et de la lumière, des réalités opaques transformées en lumière, des passages des ténèbres à la lumière, d’une conversion perpétuellement renouvelée dans les liturgies des heures et des jours. En s’éloignant de l’obscurité, l’artiste étend la part du divin dans le monde.
L’école du vitrail
Les réalisations des quinze premières années du XXIe siècle montre la fécondité artistique exceptionnelle d’une discipline qui ne cesse d’évoluer et de s’épanouir dans toute sa splendeur, portée par la lumière des maîtres anciens.
La mission des artistes créateurs de vitraux est de toujours proposer de nouveaux supports, de nouveaux verres, pour montrer la lumière à travers les couleurs : actualisation sans cesse renouvelée du prodige d’une matière qui, recevant la lumière, ne la garde pas, mais la transmet en lui donnant une visibilité rayonnante, transfiguration du mystère. Le vitrail des peintres n’est pas un tableau lumineux, mais une école de la transmission de la lumière.
J.-F.L