Le vitrail contemporain, – Jean-Marie Braguy – Centre international du Vitrail
À travers les expositions du Centre international du Vitrail à Chartres et notamment l’exposition sur les vitraux de création dans les cathédrales, il est possible de démontrer l’intérêt artistique et la vigueur de l’art du vitrail aujourd’hui. Le vitrail est encore souvent considéré comme un art du passé et même d’un passé lointain : le moyen âge. On pense aussi généralement que le vitrail est avant tout un artisanat, ou un art mineur, avant d’être un moyen d’expression artistique. Lorsqu’il est considéré comme un art, cet art ne peut être que religieux et à cause de cela plutôt éloigné des préoccupations des artistes contemporains.
Ces quelques idées préconçues sur le vitrail ont pu être facilement réfutées au cours de la visite de l’exposition sur les créations de vitraux depuis la Seconde Guerre mondiale dans les cathédrales françaises.
En 1904, Marcel Proust exprimait, dans un article intitulé « Mort des cathédrales » , son admiration nostalgique à propos de ces témoins d’un « beau rêve d’union de la foi et de l’art » qui lui semblait appartenir à un passé révolu. Presque cent ans plus tard, Bruno Foucart évoque au contraire « la résurrection de la cathédrale » dont il voit comme preuves récentes l’achèvement de la cathédrale de Lille, la réalisation de Notre-Dame-de-la-Résurrection à Évry, les réaménagements liturgiques suscités par le dernier Concile Vatican II et les commandes de vitraux qu’on voit s’intensifier depuis les années 1980 à Nevers, Blois, Digne ou Maguelone, entre autres…
Les cathédrales sont devenues à la fin du XXe siècle, l’un des lieux forts de la confrontation entre l’art contemporain et le patrimoine des siècles passés.
« … Pour les artistes comme pour les spectateurs, ces vitraux sont une théologie de lumière, une méditation incarnée sur les vertus et les limites du pouvoir de l’image, du dessin, de la couleur. Mais notre époque ne peut plus guère croire à la valeur pédagogique de la création artistique, puisque le paradigme de l’ut pictura poesis a cédé la place au modèle d’un univers visuel autonome, riche de sa différence même avec le monde verbal et qui ne saurait être je ne sais quelle « Bible des illettrés »… »
L’histoire de la création de vitraux contemporains dans les cathédrales françaises au XXe siècle nous fait passer d’un temps de compromis caractérisé par un souci d’adaptation au lieu, à des prises de risques plus marquées depuis les années 1980. C’est le pari, à renouveler sans cesse, d’une réinvention du passé par le présent, de la récréation de l’architecture par une lumière nouvelle, et du réinvestissement d’un monument collectif par un regard et un geste artistique singulier, unique, à jamais inassimilable.
Les extraordinaires perfectionnements techniques que connaît l’art du vitrail depuis quarante ans attestent qu’il n’est en rien une simple image plate, mais qu’il est présence réelle, couleur et forme en acte. Dans les cathédrales plus qu’en tout autre édifice, les vitraux contemporains ont l’audace de se montrer pour ce qu’ils sont, une théologie incarnée.
Oscillant entre tradition et audace, une clef reste essentielle : avant tout, faire souffler l’esprit au cœur des cathédrales.
Quelles conclusions pouvons-nous tirer de la visite de l’exposition et des œuvres présentées ? Tout d’abord, on peut estimer que le vitrail est resté (après des périodes d’éclipse) un moyen d’expression loin d’être « épuisé » et qui demeure en prise avec des préoccupations artistiques actuelles. Plus important encore, le vitrail est un art qui peut être aussi en écho avec les préoccupations les plus essentielles de la société (entre autres choses un besoin de transcendance et de réconfort).
On peut faire aussi deux remarques complémentaires :
Premièrement que l’on doit faire appel à de véritables artistes, si l’on souhaite de véritables œuvres d’art, ou du moins se donner une chance qu’un miracle artistique se produise. Mais comment définir ce qu’est un artiste ? Contentons-nous de l’expression « personnalité inspirée », et de le différencier du « professionnel de l’art ou du métier d’art » dont on exigera une certaine compétence technique et même un certain talent, mais dont la vocation n’est pas cette inspiration que l’on attribue au véritable artiste. On peut néanmoins nuancer cette dernière remarque en considérant les productions du passé (du moyen âge et de la Renaissance) qui étaient souvent des œuvres « à plusieurs mains » et qui dépendaient du savoir-faire de tous les maillons d’une longue chaîne d’intervenants (du commanditaire à ceux qui allaient traduire et concrétiser les contenus élaborés).
La seconde remarque considère les relations qui s’établissent entre l’édifice de destination d’une part, les commanditaires, et le ou les artiste(s), d’autre part. L’édifice est donné, il peut être parfois plus ou moins transformé, mais il s’impose comme la destination objective du projet de création. Les commanditaires, on l’oublie trop souvent, ont un rôle à jouer. C’est aussi pour eux que le projet existe. Et le rôle qu’ils ont à jouer est artistique. Ils partagent la responsabilité avec les artistes de la réussite de l’entreprise. Ce sont eux qui vont choisir les artistes. C’est pourquoi, comme nous l’avons vu souvent dans l’exposition, on ne peut attribuer la réussite ou l’échec des projets présentés aux seuls artistes.
En conclusion, avant même de concevoir un projet artistique, il faut définir ce que l’on souhaite (établir un cahier des charges ?) et ce qu’il convient de faire. Les vitraux monumentaux ne peuvent pas être le lieu d’une improvisation totale, même si jusqu’au bout la création doit demeurer un pari et révéler des surprises.
Sources :
Les couleurs du ciel – Vitraux de création au XXe siècle dans les cathédrales de France, Chartres, Centre international du Vitrail/Éditions Gaud, 2OO2.
« Les vitraux modernes des cathédrales de France », M. Ernould-Gandouet, in La revue de la Céramique et du Verre, n°129, Mars-avril 2003.