Vouloir, désirer la création de vitraux sous-entend que l’on sache ou tout du moins que l’on ait des idées sur ce qu’est la création contemporaine. Sans chercher à tout prix l’originalité, ou même la rupture pour ne pas être taxé de suiveur ou pire encore de rétrograde, il convient de prendre un certain recul sur les pratiques « artistiques » actuelles et les analyses qui sont faites de ces pratiques.
Conseiller artistique auprès du Conseil Général d’Eure-et-Loir, le peintre Jean-Claude Le Thiais nous a parlé de peinture, de création et de l’art du vitrail. Avec lui, nous avons refait le bilan de l’art contemporain, rediscuté de la césure entre art figuratif et art non figuratif, abordé la question de la collaboration peintre ou sculpteur et maître-verrier, et visité l’exposition des maîtres-verriers du département récemment inaugurée au Centre international du Vitrail.
« …C’est lui (Jean-Claude Le Thiais) qui a eu l’idée d’un centre d’art contemporain, à Dreux. Ce peintre de 62 ans, rouennais d’origine, a posé ses valises il y a 22 ans à Bonneval. Cultivant une certaine indépendance, tout en fréquentant les ateliers parisiens, il est un artiste hors normes, peignant par instinct, par plaisir, laissant aux autres le soin de rêver sur ses toiles. Avec le temps, il est aussi devenu l’un des porte-parole de l’art contemporain »
« Beaucoup d’artistes que j’accueille chez moi constatent que la Beauce ne mérite pas sa réputation. Qu’on peut s’y installer dans des ateliers plus vastes qu’à Paris », explique Jean-Claude Le Thiais qui s’est ouvert aux élus de son ambition de voir naître un centre d’art contemporain.
« …Pour le grand public comme pour beaucoup de spécialistes, l’innovation la plus spectaculaire de l’art moderne fut l’abandon, au début des années 1910, de la représentation. L’art abstrait, au-delà des disputes relatives à sa définition comme à sa dénomination, et en dépit de la rupture qu’il introduisait, prolongeait l’histoire des beaux-arts.
Ainsi la peinture, par exemple, devait-elle abandonner successivement la narration, l’illusion du volume, de la profondeur, puis la représentation elle-même pour être en conformité avec ce que la nature de son médium recèle d’unique – en l’occurrence « la planéité » et la délimitation de la planéité. Les débats artistiques, jusqu’aux années 5O, accordaient une large place aux discussions engendrées par l’abstraction. C’est pourquoi ils restaient circonscrits au sein des beaux-arts, construction classificatoire dont peu d’artistes, de commentateurs ou de théoriciens songeaient à remettre en cause la validité.
En revanche, l’invention du papier collé, contemporaine des débuts de l’abstraction, avait ouvert une brèche dans l’édifice séculaire des beaux-arts… »
« …Quand commencèrent à proliférer des pratiques artistiques fondées sur l’assemblage d’objets, il devint évident que cette méthode requit un savoir-faire à la portée de tout bricoleur, autrement dit de chacun d’entre nous…
…Joseph Kosuth : « Les critiques, pas plus que les artistes formalistes ne mettent en question la nature de l’art. Or (…) être artiste aujourd’hui, signifie questionner la nature de l’art »…
Robert Filliou (…) observa que l’art est devenu une terre d’asile, une zone franche où se donnent libre cours les inventions qui ne trouvent pas droit de cité ailleurs. Le langage est révélateur : il utilise ici un terme général, art, quand les autres disciplines, celles qui ont conservé l’exigence d’une spécificité, se présentent sous des appellations particularisantes – théâtre, musique, danse, cirque, music-hall…
Comme le souligne Nathalie Heinich, l’art contemporain s’est engagé dans le dépassement incessant de toute convention en voie de s’établir. Soumis à une telle obligation de changement, il n’a pu manquer, dans les années 8O, de se diversifier à l’extrême. D’où son éclectisme et son éclatement dans des directions si diverses, qu’aujourd’hui la notion même d’avant-garde n’a plus de sens. Et comment prétendre être « en avance », si l’on pratique l’appropriation de styles et de manières anciennes au même titre que l’innovation la plus inattendue ? En réalité, malgré cette ouverture apparemment sans limites, la notion d’art contemporain ne se contente pas d’enregistrer tout ce qui peut se faire aujourd’hui comme peinture, design, ou autre forme d’expression plastique. L’art contemporain reste attaché à la sanction des professionnels. La figure de l’artiste n’a pas foncièrement changé le plus banal, il doit manifester l’unicité de son œuvre, ne serait-ce que par le discours qui l’entoure. Et le nombre d’esthétiques reconnues comme telles est limité. Il existe donc des artistes vivants et actuels qui ne font pas d’art contemporain. »
En s’efforçant de comprendre ce que nous souhaitons faire et ce qui est attendu au terme d’une entreprise comme la création de vitraux pour un édifice religieux, nous serons plus à même de découvrir également les ressources de l’expression contemporaine.
Sources :
l’Écho républicain
Samedi 26 et dimanche 27 avril 2003
L’art – Numéro spécial de sciences humaines
Juin, Juillet, Août 2002