La cathédrale de Chartres

LA CATHÉDRALE NOTRE-DAME DE CHARTRES : SEIZE SIÈCLES D’HISTOIRE

Par Colette Deremble

cathedrale-ciel-bleu-1Chartres est un des sites les plus importants de l’histoire de l’art et de la spiritualité du Moyen Âge occidental. Prestigieux centre de pèlerinage à la Vierge et aux saints, elle est devenue au XIIIe siècle un édifice phare de l’art gothique en sa maturité. La cathédrale offre aujourd’hui une des architectures les plus accomplies de ce temps, révèle un patrimoine exceptionnel de sculptures de la fin du temps roman et de l’épanouissement de l’art gothique et conserve le plus important ensemble de vitraux médiévaux du monde. Si l’essentiel de ce qui est visible aujourd’hui à la cathédrale de Chartres date du premier tiers du XIIIe siècle, il faut deviner, par-delà cette architecture gothique, les différentes étapes qui, de l’antiquité à nos jours, se sont superposées au cours d’une histoire chargée d’événements.

Des restes gallo-romains sous la cathédrale témoignent de la vitalité chartraine dans l’Antiquité tardive. Pour ce qui est de l’origine chrétienne, on a conservé la trace écrite de la présence d’un évêque à Chartres depuis 343 : un premier édifice rassemblait autour de lui les chrétiens chartrains au IVe siècle, ce qui montre à quel point le christianisme était déjà bien implanté en cette région. Cette cathédrale est remplacée par une construction mérovingienne, elle-même détruite en 743 par le duc d’Aquitaine. L’histoire à partir de là va se répéter cruellement : la cathédrale reconstruite est détruite en 857 lors d’incursions vikings. Une dizaine d’années plus tard, en 876, intervient un événement majeur, qui détermine l’histoire de la cathédrale : le don par Charles le Chauve de la relique du voile de la Vierge. Fort de ce précieux cadeau, on restaure l’édifice. Nouveau siège par les Normands et leur chef Rollon en 911. Nouvel incendie en 962, puis en 1020. De tous ces édifices, les traces archéologiques sont complexes à analyser : un hémicycle de plan centré, situé sous l’abside actuelle de la cathédrale, dit caveau de saint Lubin, a pu être interprété par certains comme l’ancien lieu de culte carolingien.

XIe siècle

Au XIe siècle la série noire semble terminée. La ville s’agrandit. La prospérité revient. Des ateliers de tanneries, des fouleries s’installent dans les faubourgs. Le blé de la Beauce a un bon rendement. L’évêque Fulbert, théologien et philosophe de renom, en qui on voit un nouveau Socrate, donne l’impulsion du renouveau. Il fait élever une nouvelle cathédrale après l’incendie de 1020. Elle a des dimensions extraordinaires pour l’époque : la même largeur que l’actuelle. Fulbert a le souci de donner à Chartres une cathédrale digne du pèlerinage à qui il confère une ampleur nouvelle. Les travaux sont menés avec rapidité : en 1028, année de la mort de Fulbert, la cathédrale est très avancée. Elle est terminée en 1037 par Thierry, son successeur.

Fulbert a une grande dévotion pour la Vierge. Pour soutenir la dévotion des fidèles, il fait sculpter une statue de Marie, en bois de poirier sombre (d’où l’appellation de « Vierge noire »), et la dispose dans la crypte. C’est le moment où se multiplient dans les sanctuaires mariaux ces magnifiques Vierges en majesté, statues reliquaires offertes à la prière des foules. Cette madone, détruite à la Révolution, va devenir l’emblème de Chartres. Par la suite, vitraux et sculptures démultiplieront son image dans la cathédrale.

Une école de théologie et de philosophie se développe autour des chanoines de la cathédrale. Des penseurs de renom assurent la gloire de Chartres. Ils ont nom Bernard ou Thierry. Ils connaissent Platon et la philosophie grecque : ce sont des humanistes. Le culte de la Vierge ne cesse de grandir : le pèlerinage prend de l’ampleur. De brillants évêques comme Jean de Salisbury et Pierre de Celle contribuent à maintenir Chartres au rang des capitales de la pensée.

XIIe siècle

La deuxième moitié du XIIe siècle voit naître en Ile-de-France un grand élan de constructions : c’est le début de ce qu’on appellera plus tard l’art gothique. De Saint-Denis à Sens, Paris, Laon ou Noyon, les chantiers se multiplient pour agrandir, embellir, mettre au goût du jour les anciennes cathédrales. Chartres ne peut rester en deçà de cette effervescence générale. Peu avant le milieu du siècle on entreprend de rénover le portail d’entrée.

L’occasion d’une reconstruction totale est donnée par un nouvel incendie qui, le 10 juin 1194, détruit une partie de la cathédrale. Le trésor des reliques est conservé. L’entrée occidentale et quatre verrières romanes sont intégrées au nouvel édifice. On décide de rebâtir la cathédrale. L’évêque Renaud de Mouçon, cousin germain du roi Philippe Auguste, s’y emploie. Autour de lui, 72 chanoines gèrent les affaires de l’évêché. Leur fortune est due aux impôts prélevés sur l’activité agricole florissante de la Beauce. Ils sont prêts à l’investir dans la construction. Le pape Innocent III soutient le travail de rénovation ecclésiale. Il restructure l’Église, initie le renouveau de la pastorale, réforme l’éducation des prêtres, réaffirme la force des sacrements en ce temps de croisade contre les Albigeois.

La ville est riche. En ces temps de paix, c’est un nœud commercial florissant, un grenier à blé. Elle abrite 6 000 habitants. Politiquement Chartres ne fait pas partie du domaine royal, où elle ne sera intégrée qu’en 1286 avec Philippe le Bel. Le Comte de Chartres, à la tête d’un domaine puissant dont les terres s’étendent loin, se considère comme le rival du pouvoir capétien en pleine expansion. Une cathédrale, grande, belle, à la mesure des audacieuses constructions du territoire capétien, ne serait pas pour lui déplaire. Comme dans toutes les villes de ce temps, une nouvelle société se développe, avec des bourgeois et des artisans actifs. Ils participent à la grande mutation économique, culturelle, sociale, religieuse des environs des années 1200. Ils ont soif eux aussi d’investir leur nouvelle richesse dans une œuvre qui retourne à Dieu cette prospérité.

Les conditions sont donc réunies pour un projet rassemblant toutes les forces vives de ce temps.
La construction est rapide. Commencée en 1194, la cathédrale est rendue au culte vers 1220, tandis que la dernière main mise à la décoration consiste en la pose, en 1230, des vastes porches des transepts, préalablement sculptés. Peu de villes peuvent se vanter d’une telle rapidité. Ajouts et embellissements de détails se poursuivent jusqu’en 1260 : le 17 octobre, la cathédrale est solennellement consacrée en présence de Saint Louis.
À partir de là, l’édifice ne connaît que quelques modifications qui n’altèrent pas la magnifique cohérence de la création gothique:

  • Au XIVe siècle : la salle capitulaire, surmontée de la chapelle Saint-Piat, construite entre 1325 et 1335, reliée un peu plus tard à la cathédrale par un escalier de pierre couvert par une galerie.
  • Au XVe siècle : la chapelle Vendôme, construite en 1417 entre deux contreforts de la nef, côté sud.
  • Au XVIe siècle, la flèche du clocher nord, œuvre du maître maçon Jehan de Beauce, élevée en remplacement de la flèche en bois détruite par la foudre en 1506. Puis le décor sculpté du tour du chœur, qui joue le double rôle de séparation d’avec l’espace réservé aux chanoines et de leçon d’Histoire sainte destinée aux fidèles. Commencé par le même Jehan de Beauce, il sera achevé au XVIIIe siècle.

Sous la révolution, le trésor est pillé, la statue romane de la Vierge brûlée, nombre de bas-reliefs mutilés, la toiture de plomb arrachée et fondue.
En 1836, alors que l’on commence à restaurer l’édifice, un incendie détruit l’ancienne charpente de bois. L’architecte Baron exécute un comble en fonte de fer, incombustible, et une couverture de plaques de cuivre qui demeurent aujourd’hui l’une des singularités de la cathédrale chartraine.
Durant la seconde guerre mondiale, les vitraux sont déposés par précaution dès 1939, mais la cathédrale n’a heureusement pas à souffrir des bombardements.

Aujourd’hui, huit siècles après sa reconstruction, ce merveilleux symbole de la maîtrise de l’espace et de la lumière des bâtisseurs gothiques dresse toujours sa fière silhouette au-dessus des blés de la Beauce. Après avoir survécu aux ravages des flammes, des intempéries, des conflits de religions, de la Révolution, des guerres, elle doit faire face désormais à un autre fléau, la pollution, qui n’est peut-être pas le moindre des dangers.

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